Mesure de la hauteur des vagues en mer à partir des micro-séismes

Pendant que vous lisez ces lignes le sol sous vos pieds monte et descend de quelques microns au plus, toutes les quelques secondes... à cause des vagues en mer. Ce mouvement de faible amplitude, le dixième de l'épaisseur d'un cheveu, est connue depuis près d'un siècle. Son amplitude augmente en présence de tempêtes dans les océans les plus proches et plusieurs chercheurs ont tenté d'en déduire la hauteur des vagues dans ces tempêtes. Les travaux menés à l'Ifremer, qui viennent d'être publiés dans le "Journal of Geophysical Research", permettent enfin de comprendre où et quand ces microséismes permettent de mesurer les vagues, et surtout, de savoir dans quelle région de l'océan se trouvent ces vagues. Ces résultats ouvrent d'importantes perspectives pour l'utilisation des anciens enregistrement sismiques qui permettent de remonter au "climat de vagues" du début du XXème siècle, ou encore pour le suivi des houles océaniques dans l'hémisphère sud, où très peu de mesures sont réalisées. Ce travail, réalisé en partenariat avec l'institut de Physique du Globe de Paris, intéresse aussi les sismologues car il confirme la localisation des sources du bruit sismique qui permettent aujourd'hui un suivi en continu des propriétés de la crôute terrestre (volcans, failles ...).

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Prenons un exemple: nous essayons d'utiliser la station sismique de Berkeley, en Californie, pour mesurer les vagues en mer au large de San Francisco. Les méthodes utilisées jusqu'à présent étaient fondée sur un aprentissage empirique: en prenant les 20 premiers jours (partie grisée du graphique) on construit une relation empirique entre les mesures sismiques à terre et les mesures en mer faites par une bouée. Cela marche assez bien, sauf pour quelques évènements pour lesquelles la relation apprise n'est pas très précise. Par exemple, le 26 Janvier (étoile bleue sur le graphique) les mesures en mer n'ont pas dépassé 5 m de hauteur de vague, alors que la méthode emprique donne 7.2 m. C'est assez gênant si on veut étudier les plus fortes tempêtes. Ce qui se passe c'est que, en hiver, la plupart du temps, le bruit est associé à l'interaction des vagues venant du large avec leur réflexion par la côte: pour faire du bruit sismique il faut que les vagues recontrent des vagues dans la direcition opposée.
Or le 26 janvier, il y a bien des vagues de direction opposée à celles générées par le vent local, mais elles viennent d'une autre tempête, et leur amplitude est bien plus forte que celle de vagues réfléchies par la côte: on a donc plus de bruit que d'habitude malgré des hauteurs de vagues similaires. Ce genre d'évènement est peu fréquent, mais il arrive assez souvent pour empêcher une mesure fiable des vagues si on n'y prend pas garde.

La nouveauté de notre méthode consiste à d'abord modéliser le bruit sismique à partir d'une modélisation des vagues: il faut donc d'abord connaitre les vagues pour arriver à estimer leur hauteur. On tourne en rond? Pas tout à fait car ce modèle de vagues n'a pas besoin d'être très précis, il permet au moins d'éliminer ces évènements anormaux, et d'obtenir à la fin une meilleure connaissance de la hauteur des vagues. L'autre intérêt du modèle est qu'il nous donne une idée de la région de l'océan d'où vient le bruit, ce qui était encore très mal connu. Pour la Californie l'estimation des vagues est précise parce que les sources du bruit sont toujours à peu près dans le même secteur (zone rouge sur la carte ci-contre), le long de la côte, une région où les vague sont assez homogènes.

Le modèle de bruit nous a aussi permis de montrer que, contrairement à l'hiver, le bruit en été n'est pas du tout associé à la réflection à la côte mais plutôt au fait que les vagues associées au vent ont un éventail de direction assez large pour avoir un peu d'énergie dans des directions opposées.

Ailleurs dans le monde, il peut être difficile de mesurer la hauteur des vagues parce que les sources varient fortement et se déplacent sur de vastes étendues. Ainsi en France on mesure à la fois du bruit venant de Méditerranée et du milieu de l'Atlantique Nord. Sur la carte ci-dessous est figurée la répartition des sources qui contribuent, d'après le modèle, aux mesures faites en Ecosse. On peut alors comparer le bruit sismique enregistré à une moyenne des hauteurs de vague sur cette grande région. Cette moyenne n'a pas forcément beaucoup de sens car à chaque instant les sources peuvent être très localisées, mais cette localisation bouge beaucoup d'une journée à l'autre. Du coup le niveau de bruit ne permet qu'en estimation assez grossière, avec une erreur typique supérieure à 20%, de cette hauteur moyenne.

Dans ce cas le bruit est plus utile par la comparaison qu'on peut faire avec le bruit modélisé, plutôt que par l'estimation de hauteur des vagues à partir du bruit. En effet cette comparaison permet de détecter des erreurs dans les prévisions de vent, trop fort ou trop faible, qui sont utilisés par le modèle de vagues. En effet les mesures sismiques permettent de remonter plus loin dans le passé que les mesures satellitaire, comme l'a montré l'étude de Grevemeyer et al. (paru dans la revue Nature en 2000).

La technique d'estimation des hauteurs de vagues marche le mieux lorsque le bruit est associé à la réflexion à la côte. C'est particulièrement le cas pour les longues houles océaniques qui sont encore assez mal connues et mal prévues, surtout dans l'hémisphère sud où il y a très peu de bouées qui mesurent les vagues. Par contre, beaucoup d'îles sont équipées de sismographes... il y a là une mine d'observations que nous avons à peine commencé à analyser.