Des vagues au bourdonnement de la terre... enfin une théorie qui marche

La terre solide résonne sans s'arrêter sous l'effet des vagues en mer, avec un large spectre de périodes allant de 1 à 500 secondes.
Les signaux les plus faibles ont des périodes entre 50 et 300 secondes. La source de ces signaux était encore mystérieuse, jusqu'à ce qu'une équipe de chercheurs français montrent comment les vagues produisent des ondes sismiques de même période. Ce travail est à paraître dans le prochain numéro du Geophysical Research Letters...

... il est déjà disponible en ligne (voir aussi les informations supplémentaires).

Ces ondes sismiques de période plus longue que 50 s forment le "bourdonnement de la terre", qui existe en absence de tout tremblement de terre. Ce bourdonnement a été découvert en 1998 par plusieurs équipes de sismologues et son origine a fait l'objet de nombreuses spéculations. Les études les plus récentes faisaient appel à l'interférence de vagues infragravitaires de directions opposées, qui donnent des ondes sismiques dont la période est la moitié de la période des vagues.  C'est ainsi que Spahr Webb l'a expliqué dans deux articles en 2007 et 2008, utilisant la théorie élaborée par Klaus Hasselmann en 1963. Partant de cette idée l'équipe menée par Fabrice Ardhuin (Laboratoire de Physique des Océans, Brest) et Eleonore Stutzmann (Institut de Physique du Globe, Paris) voulaient utiliser les mesures sismiques pour améliorer les connaissances de la structure de la terre solide et étudier les tempêtes à la côte ou en mer.

La première étape du travail a donc été un calcul numérique utilisant la théorie de Hasselmann pour vérifier la position des sources de ces ondes: à partir d'un calcul des propriétés des vagues on calcule celle des ondes sismiques. Il s'est avéré qu'il fallait tout d'abord corriger la théorie pour le cas où la longueur d'onde des vagues est comparable ou plus longue que la profondeur de l'océan. En effet, par faible profondeur les vagues exercent une pression au fond qui annule presque l'effet des vagues en surface, un effet révélé très récemment (étude publiée par Ardhuin et Herbers dans le "Journal of Fluid Mechanics" en 2013).

Ce calcul avait très bien marché pour les ondes sismiques de période autour de 5 secondes. Mais pour 100 secondes, rien n'allait plus: l'amplitude calculée pour les ondes sismiques était un million de fois trop faible. Soit la théorie n'était pas bonne, soit il y avait une erreur dans les calculs.

Nous avons donc appliqué aux grandes période l'autre mécanisme connu pour expliquer les ondes sismiques de période 10 à 20 s. Cet autre mécanisme, aussi théorisé par Klaus Hasselmann (dans le même article fondateur de 1963), fait intervenir la pression associée aux vagues sur un fond en pente. Et là, non seulement la théorie explique l'amplitude mesurée mais aussi ses variations à l'échelle de quelques heures ou de l'année et ses variations d'une station à l'autre.

La figure ci-dessous montre, en haut, l'évolution de l'amplitude des oscillations verticales filtrées pour garder les périodes de 50 à 130 s. Les mesures proviennent de la station SSB du réseau Géoscope, au sud de Saint Etienne. Les signaux les plus forts (qui sortent de l'échelle) sont deux tremblements de terre de magnitude 6.9 le 3 mars et 7.1 le 20 mars. D'autres séismes de magnitude supérieure à 5.6 peuvent être les sources de signaux enregistré dans les plages grisées. En dehors de ces plages, le signal mesuré correspond bien à ce qui est attendue d'un calcul théorique de l'effet des vagues infragravitaires aux dessus de pentes. L'évènement le plus intense correspond à la tempête Johanna du 10 et 11 mars 2008, qui a dévasté le le littoral espagnol, français et britannique. Les dégâts ont été particulièrement forts en Bretagne car la tempête a coincidé avec une marée de vive eau. La carte du bas montre la répartition des sources d'ondes sismiques calculées à partir des vagues.

Alors à quoi ça peut bien servir? Tour d'abord c'est toujours rassurant de "comprendre" ce que l'on observe, et cela permettra sûrement de détecter des anomalies, d'autres signaux inattendus. Ensuite, il y a peu de mesures des ondes infragravitaires en mer avant les années 2000. Ces ondes sont associées aux très fortes tempêtes et il est intéressant de mieux connaitres leurs propriétés, que ce soit pour des questions de submersion marine et d'agitation portuaire, de fracture de langues de glace en Antarctique, de fragilité des lignes de mouillage, ou encore pour la mesure du niveau de la mer par satellite.  Une meilleure connaissance des sources des ondes sismiques devrait aussi permettre d'améliorer les techniques d'estimation des propriétés de la terre solide.

Tous ces sujets feront l'objet du colloque sur les ondes infragravitaires et le bourdonnement. Les travaux futurs viseront à étendre nos travaux aux mouvements horizontaux (ondes de Love), à vérifier les résultats avec d'autres méthodes et d'autres stations sismiques. Ces développement sont l'objet du projet "MIMOSA" soutenu par l'Agence Nationale de la Recherche.