Tournées, "accordéonées" et bloquées: la dure vie des vagues sur les courants marins
Au large de Saint Malo ou au sud de Molène la hauteur des vagues peut être multipliée par deux entre la pleine mer et la basse mer. Pourquoi? C'est pour répondre à cette question qu'une équipe de chercheurs menée par Fabrice Ardhuin (Ifremer) a étudié les différents effets des courants marins sur les vagues. Leur étude, qui vient de paraitre dans le "Journal of Physical Oceanography" met en évidence trois effets principaux qui permettent de mieux comprendre ces observations. Ces travaux montrent aussi que l'on peut désormais prévoir ces effets avec une bonne précision. Le projet Prévimer en donne la démonstration.
(Modélisation des vagues dans des cas de forts courants lien vers l'article du Journal of Physical Oceanography )
Réfraction : les vagues tournent quand le courant n'est pas homogène
Le phénomène le plus connu est la réfraction: comme les rayons lumineux, les "rayons de houle" sont courbés par les variations de vitesse. Dans le cas de houle cette vitesse dépend de la profondeur, c'est pour cela que les caps "attirent la houle", mais aussi de la vitesse du courant. Ainsi un jet de courant opposé à la houle joue le même rôle qu'une lentille convergente en optique et conduit à un maximum de hauteur de vagues dans le courant. Cet effet est d'autant plus fort que le courant est fort et varie à petite échelle.
C'est cet effet qui, au sud de Molène, explique les fortes variations de la hauteur des vagues avec la marée.
La figure ci-contre montre la carte des courants de marée au moment de la pleine meir (à gauche) et de la basse mer (à droite). Le courant dirigé vers l'ouest qui se développe au sud d'Ouessant à la basse mer est responsable d'une focalisation des la houle avec des hauteurs de vagues amplifiées au sud-ouest d'Ouessant.
Ainsi, 20 kilomètres plus loin, la hauteur des vagues est diminuée, comme cela est enregistré régulièrement par la bouée des Pierres Noires, par exemple le 28 octobre 2008. Ce jour-là la hauteur moyenne des vagues passe de 2,9 m à 3 heures du matin à 1,5 m à 11h du matin.
Cet effet là est très bien représenté par le modèle de prévision des vagues WAVEWATCH III qui est utilisé dans le projet Prévimer et prends en compte les courants de marée.
Le courant lève la mer: effet d'accordéon et échanges d'énergie
Un autre phénomène important pour l'évolution des vagues dans un champ de courant variable est l'effet d'accordéon: imaginons un train de vagues régulières qui arrive dans une région de courant opposé. C'est ce que représente l'animation ci-dessous avec des vagues de période 5 secondes et un courant opposé de 2 m/s. Dans ce cas la vitesse apparente des vagues diminue de 9,2 à 4,7 m/s. Un peu comme dans un embouteillage les vagues se resserrent (leur longueur d'onde diminue) pour s'adapter à cette vitesse plus lente. On peut compter l'énergie des vagues à peu près comme le nombre de voitures sur l'autoroute, le rallentissement aboutit à une plus grande concentration d'énergie, qui se traduit par une augmentation de la hauteur des vagues.
Pour les vagues c'est même un peu plus compliqué: d'une part le rallentissement est plus fort que l'effet du seul courant: au lieu d'être réduite de 2 m/s dans cette exemple, la réduction atteint 4,5 m/s! En effet, non-seulement les vagues sont sur le "tapis roulant" constitué par le courant, mais en plus la vitesse propre des vagues (leur vitesse de course en dehors du tapis roulant) dépend de leur longueur d'onde: comme pour la longueur des jambes d'un coureur, la vitesse propre des vagues augmente avec leur longueur d'onde. Or le courant les fait rétrécir et réduit encore plus leur vitesse.
Enfin, l'énergie des vagues est aussi augmentée par le courant qui les alimente, ce qui contribue un peu à augmenter la hauteur des vagues.
Déferlement et blocage
L'augmentation de la hauteur des vagues a une limite: la hauteur d'un vague ne peut pas dépasser 1/6 de sa longueur d'onde sans que la vague ne devienne instable et déferle. Ainsi zones de forts courants, en augmentant la hauteur et en raccourcissant la longueur d'onde sont des régions de déferlement préférentiel, facilement visible à l'oeil nu ou sur des images radar.